DONNER UN ORGANE DE SON VIVANT

 

 

 

ELLE A DONNÉ UN REIN À SON FRÈRE

 

 

Dans son ventre, Jean a trois reins. Mais un seul assure sa survie: celui de sa sœur. Ce week-end, Jean et Colette ont pensé à un anniversaire très particulier: il y a exactement deux ans, ils passaient tous les deux « sur le billard » pour un don d’organe vivant (rein). Grâce à son geste, la grande sœur a ainsi sauvé son petit frère. Comme l’acteur Richard Berry l’avait fait en 2005 pour sa sœur Marie, gravement malade, Colette (d’Ovifat) a fait don d’un de ses reins à Jean, son frère, lui aussi touché par une maladie rénale génétique (polykystose).

 

Cette démarche du « don d’organe vivant » est amenée à devenir de plus en plus fréquente autour de nous, vu l’urgence du manque d’organes de donneurs décédés et les besoins toujours plus grands pour soigner des maladies incurables. Actuellement, chez nous, seule une transplantation rénale sur 20 est réalisée grâce à un don vivant, contre près d’une sur trois (29 %) en Scandinavie et plus de quatre sur dix (41,5 %) aux États-Unis. La greffe d’un lobe de foie est également possible comme, sans doute, bientôt, d’autres * morceaux * d’organes vitaux (poumons). La Santé publique vient de clôturer un appel à projets pour dresser * l’état des lieux * de ce don vivant, en vue, notamment, d’établir des barèmes de dédommagement pour les donneurs (cf.encadré ci-contre).

 

Une décision évidente

 

« Nous sommes 4 garçons et 2 filles. Maman souffrait de polykystose familiale héréditaire. Elle est décédée dans une opération aux reins il y a 7 ans. Ma sœur et deux de mes frères sont atteints, ainsi, déjà, que plusieurs de leurs enfants. J’ai la chance d’y avoir échappé, tout comme mes deux enfants. » Colette a très vite décidé de sauver son petit frère, Jean, en lui donnant son rein gauche, quand son état a commencé à se dégrader très fort. Lui, par contre, a mis un an et demi à se faire à l’idée et à accepter l’offre. Il avait déjà fait placer l’aiguille de cathéter en vue de la dialyse, bien que l’idée de ce traitement, très lourd, l’angoissât terriblement.

 

Complices jusqu’au bout

 

La veille du 8 février 2007, Colette et Jean entrent au CHU de Liège. Ils ont exigé de partager la même chambre - ce qui n’est pas permis -mais ils veulent « vivre le truc ensemble ». « Le soir avant l’opération, on a beaucoup parlé. Je lui ai expliqué pourquoi je voulais le sauver », se souvient Colette, que son petit frère surnomme « groumette » en wallon. « Nous étions très complices, nous avons beaucoup ri, même encore le matin de l’intervention! » Colette a écrit des lettres pour ses enfants, « au cas où ». Elles sont toujours closes. À l’hôpital, elle a aussi noté ses émotions dans un journal intime. Avant de partir pour le bloc opératoire, elle a écrit: « Sereine, fière et remplie d’amour ».

 

Comme rajeuni de dix ans

 

« Je suis passée la première au bloc. J’ai dit « à tantôt « à mon frère. Mon opération a duré 2 h 30, et la sienne 1 h 30. Dès que j’ai été en salle de réveil, j’ai demandé après lui. Quand j’en suis sortie, j’ai vu mes proches, qui étaient livides de trouille, et j’ai crié: « C’est gagné! » Quand Jean est revenu dans la chambre, il avait comme rajeuni de dix ans, son teint était plus frais et défroissé. » Le « contrecoup » est beaucoup plus difficile pour le receveur que pour sa donneuse. Colette s’occupe de son frère depuis le lit à côté. L’anesthésie a réveillé chez lui des migraines, il crie de douleur. Elle reste quatre jours à l’hôpital, lui deux semaines.

 

La mutuelle a tout réglé

 

« Aujourd’hui, Jean a une grosse cicatrice et trois reins, mais il revit et peut à nouveau manger de tout. Moi, j’ai une cicatrice de 10 cm par où on a prélevé le rein, c’est tout. » « Concernant le coût, c’est la mutuelle du receveur - donc de mon frère - qui a tout pris en charge. Le médecin m’avait prévenu dès que j’ai commencé les tests de compatibilité. Je pense que pour la sécurité sociale, ça revient beaucoup moins cher car, grâce à ça, mon frère n’a pas dû aller en dialyse, qui est beaucoup plus coûteuse. Par contre, ce que je trouve mal foutu, c’est que si j’étais décédée avant, dans un accident par exemple, je n’aurais pas pu être sûre que mon rein soit donné à mon frère... ». Colette n’a aucun regret, bien au contraire. « C’est la plus belle chose que j’ai faite, avec mes enfants, et je recommencerais. Mon frère Pierre est prêt à le faire aussi, pour mes autres frères et sœur qui ont la maladie. Les gens ne doivent pas avoir peur mais il faut le faire par amour. La complicité avec mon frère est telle qu’avant, mais avec un truc en plus, car pour lui, c’est une résurrection. On n’en parle pas vraiment, mais l’an dernier, pour le 1er anniversaire de l’opération, il m’a fait envoyer des fleurs avec un mot de remerciement. » Le don vivant offre de nombreux avantages Si la Santé publique a décidé de plancher sur ce type de don d’organes voué à devenir plus fréquent, c’est aussi parce qu’il offre des avantages au niveau médical et financier, par rapport aux organes de donneurs décédés.

 

AVANTAGES

 

  • Le délai d’attente pour la greffe est plus court: selon le groupe sanguin, un rein de donneur décédé peut se faire attendre jusqu’à 3 ans et demi (parfois c’est trop tard)
  • La greffe ne se fait pas d’urgence: l’intervention est planifiée, l’équipe médicale est moins stressée et le receveur est déjà préparé pour les traitements antirejet.
  • La dialyse est évitée: le don vivant permet d’intervenir, comme Colette avec son frère, avant le recours à ce traitement lourd pour le malade et coûteux pour la société.
  • Un organe de meilleure qualité: le greffon en don vivant réussit mieux à long terme (95 contre 90 %) mais aussi tout de suite, le rein reprenant sa fonction à peine rattaché à l’organisme du receveur, et ce avec moins de rejets. Cela s’explique peut-être par le fait que le greffon ne passe pas des heures dans la glace pour être conservé en ischémie et transporté.
  • Et un avantage psychologique certain: pour le donneur, comme pour le receveur, il s’agit d’un geste de générosité, apprécié, partagé. Au contraire, le greffon venant d’un donneur décédé peut être culpabilisant, si le receveur ne connaît pas la personne et ne peut donc pas exprimer sa gratitude. (C.V.)

 

 

 

Cécile Vrayenne